Édito

Ce qui reste sensible…

Et tout autant, ce qui reste à entendre… à ressentir, admirer, aimer, réfléchir.

On en conviendra aisément, l’époque n’est ni épique ni séduisante, ni utopique, ni magnétique… Brouillonne et brouillée, saturée d’images et de sons, d’effets et de ludisme sans objet, de confusions volontaires, de manipulations d’opinion même pas voilées…

C’est bien pourquoi il faut s’extraire avec enthousiasme de cette gangue morose, déjouer les cynismes et vulgarités du temps. Avec de la création, de l’art, du cinéma, des appels d’air, des horizons à découvrir, des histoires à se laisser conter, des expériences à vivre, des sentiments à partager, des idées à chevaucher et débrider, des rencontres dont il faut savoir prendre le temps, des surprises qu’il faut savoir accueillir…

Pour cette quatorzième édition du festival, nous avons fait le pari de nous redéployer dans la durée : dix jours donc et un tempo plus calme, certaines soirées « mono écran » pour éviter une profusion vaine.

Nous avons choisi aussi d’explorer les cinémas documentaires d’aujourd’hui sous de multiples facettes, ces nouveaux chapitres qui s’ouvrent d’une histoire plus que centenaire, avec ses filiations, ses nouvelles formes qui cherchent à s’inventer, et des projets hors normes comme MAFROUZA, l’opus « hénaurme » d’Emmanuelle Demoris, un film en cinq parties d’une durée de plus de douze heures, qui ouvrira le festival.

On peut se gargariser de chiffres, dix ans consacrés au projet, deux ans de tournage, des mois de montage, mais l’intérêt est évidemment ailleurs, dans l’étonnante acuité des complicités qui se tissent entre la cinéaste et les habitants d’un quartier précaire d’Alexandrie, aujourd’hui disparu. Poésies, prières, disputes, naissances, querelles, mariages, fêtes, amours, cette chronique au quotidien, nous happe et nous enchante, fait déchanter les clichés, et se regarde comme un flux tranquille, des jours et des nuits, tantôt exacerbé… une rencontre inespérée, un cadeau comme nous en offre peu souvent le cinéma.

Nous avons voulu cette édition plus diversifiée que jamais, avec des expériences singulières comme cet échange de vidéo lettres de femmes maliennes de Bamako, Kaves et Montreuil dont est constitué le film de Laurence Petit Jouvet, belle expérience humaine à chaque fois qu’il est projeté.

On s’interrogera sur l’Adresse du film avec l’association de cinéastes Gulliver comme sur le devenir du web documentaire, épigone provisoire ou prémices d’écritures multimédias… Rencontres de cinéastes, Pierre Creton, ou parcours dans une oeuvre, Peter Liechti, hommage, Breuker/Van der Keuken, ou exercices d’admiration de jeunes cinéastes cherchant des filiations, films de danse, la palette se vaut large, l’éventail plutôt chatoyant, la diversité assurée. La « géopolitique » ne sera absente ni des sélections ni de la programmation, multipliant les échos comme lors de la soirée Liban Palestine par exemple.

Mais même l’humour ne sera pas absent (et dans un festival documentaire c’est une gageure ! ) que vous fassiez « trois tentatives pour arrêter de fumer » ou que les ronds-points vous donnent le tournis mystique, comme à un derviche…

Merci à tous ceux qui nous sont fidèles ou qui nous « découvrent » et bon festival !

Didier Husson – directeur artistique, délégué général