Édito

Se sentir les invités d’expériences sensibles

Selon la fameuse lapalissade duchampienne, c’est le regard du spectateur qui fait l’œuvre… Mais pour qu’il y ait « cinéma », il faut qu’il y ait eu de l’intuition, de l’intention, des idées, de la technique, des plans, de la temporalité, des correspondances, des résonances, des contrepoints. Une réflexion sur la forme, de la poésie, de la lumière, des sons, des gestes, des paroles… Du travail c’est incontestable, des collaborations, des complicités et de l’éthique c’est souhaitable… mais pas nécessairement de l’industrie, de l’argent, du capital, des dividendes… Le divorce de plus en plus prononcé du cinéma documentaire avec la télévision (après une consanguinité étouffante et le baiser de la mort de la télé réalité) au fond l’émancipe…

Aujourd’hui il retrouve le sens du récit, du poétique, du légendaire. Évite les catéchismes révolutionnaires, les béatitudes humanistes ou la logique didactique pour se teinter d’ironie et de distanciation en parlant du politique. De plus en plus multiple dans ses formes comme dans les expériences offertes aux spectateurs, il se libère dans une économie appauvrie de la plupart des contraintes du formatage. C’est ce que donneront à voir, entendre et ressentir, nos « sélections » 2011.

« Dispositif de révélation » pour José Luis Guerin, « Contrepoint à l’obscurcissement de la pensée et réanimation de notre faculté à nous émerveiller » pour Pierre-Yves Vandeweerd, le cinéma est une des ressources majeures pour ré-enchanter un monde en proie au doute, à la falsification, aux corruptions variées et aux dictatures de l’évènementiel et du catastrophisme… C’est pourquoi nous convoquons leur cinéma, mais aussi un « cinéma dansé », rendons hommage au magicien Ruiz et nous poserons aussi la question de Filmer le Politique aujourd’hui … Et nous ouvrirons le festival avec une véritable ode à la résistance tenace et joyeuse, celle de Tous Au Larzac de Christian Rouaud…

Pour qu’il y ait Cinéma, pour qu’il y ait spectateur, il faut aussi des espaces « pour le voir ensemble » Dans « l’ancien monde » on appelait cela des salles avant qu’elles ne deviennent ces terminaux numériques robotisés et « scrunchisés » par le son du pop corn…

Il faut aussi des festivals, non pas tant pour « faire la fête», entre strass, paillettes et breloques, mais pour découvrir, redécouvrir, explorer, confronter et faire rêver aussi ! Qui a dit que le cinéma parce que documentaire se devrait au vérisme et au dolorisme !!!

Un festival propose et assume des choix. Il sert la mémoire et fait découvrir l’avenir des images animées à travers des projets en cours qui s’écrivent, se cherchent, s’inventent. N’en déplaisent aux petits boutiquiers, gestionnaires et complices serviles du libéralisme, qui jugent et jaugent la géographie festivalière trop proliférante et superflue, que vivent nombreuses, originales, diverses, les manifestations cinématographiques dans un hexagone sinon exsangue !

Didier Husson, directeur artistique