Éditos

Alors que cette année 2018 touche à sa fin, comment ne pas ouvrir ce festival sur cet évènement majeur que fut l’année 68, et avec un sujet ouvrant la réflexion sur la coexistence du travail manuel et intellectuel ou comment se construire une nouvelle vie. À l’heure où l’obscurantisme et le populisme se conjuguent au risque de formidables régressions sociales, le documentaire doit poursuivre cet objectif de laisser une grande liberté d’expression et de création aux artistes et aux acteurs culturels contre toute instrumentalisation politique ou religieuse et tout asservissement à une économie totalement marchande.
La démocratie culturelle à laquelle nous aspirons invite à un autre partage des savoirs et des imaginaires comme de la création, à de nouvelles conditions de rencontre et d’échange. Elle impose de combattre résolument les inégalités, ségrégations et inhibitions qui éloignent tant de monde de la vie artistique, notamment au sein des classes populaires. Pour atteindre cet objectif, il faut patiemment et avec constance agir sur plusieurs leviers.
À l’heure des prochaines échéances électorales, l’Europe en est un. Nous devons voir la mondialisation culturelle comme une opportunité d’ouverture, non dans sa version libérale favorisant la standardisation et des échanges culturels déséquilibrés. Il nous faut mener combat pour l’exception et la diversité culturelle, pour doter l’Union européenne d’une authentique politique culturelle avec une France ouverte sur le monde.
À rebours des traités actuels, les principes de financements publics de la culture doivent devenir des axes fondamentaux de la construction européenne : il ne doit pas être possible de contester aux états leurs choix d’investissement et de soutien à la culture, de quelque manière que ce soit. Bien au contraire, nous devons attendre de l’Union européenne qu’elle se dote d’une politique culturelle proprement dite avec des budgets correspondants pour le développement d’outils publics de création, de diffusion et d’action artistique.

À l’heure où de trop nombreux gouvernements en Europe comme dans le Monde s’enferment dans des murs pour en faire une forteresse, nous prônons l’ouverture, la solidarité, la facilitation d’une véritable circulation des artistes et des oeuvres afin de faire de la culture un axe majeur de la réorientation de la construction européenne. Notre travail en direction des lycéen-ne-s, comme des jeunes publics, a pour objectif de les aider à reprendre possession de leur culture, de la culture, et lutter contre la misère sociale et psychique, l’assignation identitaire, raciste et discriminatoire ambiante. Nous le savons, il n’y a pas d’émancipation de l’individu sans émancipation culturelle. Dimension transversale des rapports sociaux, la culture comme le féminisme, l’antiracisme ou l’écologie, nécessite la mobilisation de toutes et tous pour résister et construire un autre monde que celui glacé et égoïste que l’on veut nous imposer et qui baigne dans les eaux glauques de la Haine de l’autre.
Notre Festival veut participer à ce mouvement et proposer d’autres représentations du réel que ces produits destinés à formater les esprits.
Nous continuons à rechercher les moyens de poursuivre, dans cette banlieue qui est la nôtre, la reconquête des mots, des images et des récits qui nous aident à apprécier notre monde et le transcender.
L’émergence dans les territoires de forts mouvements artistiques et culturels, dans lesquels des collectivités continuent à s’engager, donnent espoir et permettent d’organiser des résistances qui aboutissent parfois comme celles des intermittents du spectacle.

Oui, il faut « dégoogliser » le monde et nos consciences, sinon les GAFAM non seulement nous rançonneront, mais ils nous diront comment vivre. Alors oui, nous sommes heureux qu’un festival comme celui des Écrans documentaires permette à de tou(te)s jeunes réalisateurs et réalisatrices de présenter, au travers de leurs films sensibles et politiques, ce qui fait sens dans la cité,
cette banlieue en pleine mutation qui se cherche face aux calculs froids des marchands. Nous nous laissons mener à la rencontre de ces habitants qui expriment leur révolte et leur liberté, ici et partout ailleurs dans le monde.

Cette programmation, au travers des films qui cheminent de pays en pays, d’Europe en Amérique latine, d’Afrique en Asie, est aussi une sorte de road-movie écologiste, à la découverte d’un Nouveau Monde, de Nouveaux Modernes, qui trouvent parfois ressource chez celles et ceux qui défendent leur terre ancestrale, tel le peuple Mapuche aux frontières du Chili et de l’Argentine. Ce Festival se veut un vrai bol d’air dans ce monde qui veut nous laisser croire qu’un autre possible n’est pas permis. Alors, il me reste à remercier celles et ceux qui ont permis ce voyage culturel comme celles et ceux qui ont choisi d’en faire parti.

Son et Image est bien décidé à poursuivre cette route, et vous invite à nous rejoindre !

Fabien Cohen, Président de Son & Image

Appels et réponses

Depuis trois éditions maintenant, d’un festival qui en compte vingt-deux, nous nous adaptons à la fragilité de notre situation. Nous ne nous en satisfaisons pas malgré la volonté farouche et renouvelée de montrer, d’accompagner les œuvres, là où nous sommes.

Nous ne déplorons aucun isolement ou « traitement de défaveur » tant les nouvelles régulières de structures menacées, de lieux de programmation en phase de fermeture, d’associations en difficulté, nous rappellent que nous connaissons un quotidien et des temps à venir communs.

Pour autant, nous ne bouderons pas notre plaisir à proposer aux publics les quelques quarante séances de cette programmation 2018.
Le film de Samuel Bigiaoui 68, mon père et les clous que nous présentons en ouverture n’est pas une célébration, cinquante ans après, du printemps 1968. Il est le portrait d’un homme dont l’activisme et les convictions, nés à cette époque, ont investi sous une autre forme, un lieu de passage devenu emblématique. Dans ce petit magasin contraint à fermer, employés et habitués animent les conversations de journées ordinaires, et témoignent de cinq décennies d’Histoire française.
Autre figure du père, celle proposée par Talal Derki dans Of fathers and sons, présenté en avant-première. Infiltré au coeur des conflits syriens, le réalisateur y saisit l’engagement armé d’un chef de famille, gradé historique d’Al-Nusra. Ses fils, promis aux combats et à la mort pour la plupart d’entre eux, sont les enfants d’une génération sacrifiée dans une guerre sans issue, et dont se détourne l’occident.
En Egypte, l’amour paternel ne subsiste qu’à travers les archives vidéo des premiers anniversaires d’Amal de Mohamed Siam (également en avant-première). Chronique d’une adolescente au caractère vif et en quête d’indépendance, le film est aussi le portrait d’une jeunesse qui espère, et tient pour repère les révoltes du Printemps arabe.
Présenté en clôture, Quelle folie, de Diego Governatori, s’affranchit du temps et nous mène à la rencontre d’Aurélien qu’un syndrome d’Asperger conduit à une pensée en développement permanent. Avec une infinie justesse de sens dans les mots, le jeune homme nous fait oublier qu’il est souvent au bord de l’envahissement et que son trouble l’exclut du monde. Les frontières éminemment poreuses – nous semble t-il alors – du syndrome, nous renvoient à nos formes de pensée et à nos propres affres.

Dans sa majeure partie, notre sélection 2018 se fait l’écho des récits de peuples ou de personnes détenus, astreints, en exil, mais aussi de lieux d’existences affirmés, défendus, ou en reconstruction. Autant de films dans lesquels, cette année, le recueil de la parole, qu’il soit de l’ordre du témoignage ou de l’échange occupe une place essentielle.
Le film d’Evangelia Kranioti Obscuro barroco, présenté en séance spéciale, aborde, lui, à Rio de Janeiro, la notion de métamorphose chez l’individu et dans le groupe, à l’heure où la ville est gagnée par la stigmatisation des transsexuels et les contestations politiques.

Notre partenariat avec le Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne se poursuit cette année. Il donne lieu à deux volets regroupés sous l’intitulé « Sidérer, considérer ». Consacrés à l’hospitalité, les films et rencontres sont un rebond et un prolongement en lien avec les expositions transdisciplinaires de l’institution.

Safia Benhaïm, accueillie par le passé aux Écrans Documentaires, est l’invitée de notre journée-rencontre « Le Réel halluciné », et imaginée comme un temps d’échange prolongé, suite à la projection de ses films L’arrière-pays et La fièvre, pour aborder avec elle ce qui alimente son travail de cinéaste, matériaux à l’appui.

Deux séances sont à nouveau consacrées au rapport musique et cinéma dans le cadre de notre seconde année de partenariat avec La CLEF à Saint-Germain en Laye. La voix en est le fil rouge dans des registres aussi variés que l’Opéra, le punk-rock ou encore la performance.

La section « My country is cinema » revient sur les cinéastes Artavazd Pelechian et Arthur MacCaig, ainsi que la productrice Inger Servolin à travers trois portraits : trois «lettres » adressées par leurs auteurs à des figures engagées du cinéma documentaire.

Nos séances à destination des jeunes publics s’étendent à de nouveaux établissements tout comme nos séances Hors-les-murs qui se déploient sur différents lieux du Val-de-Marne jusqu’à début décembre.

Enfin, nous rendons hommage à Axel Salvatori-Sinz qui travaillait régulièrement à nos côtés sur la programmation des Écrans Documentaires depuis 2011. Auteur du film Les Chebabs de Yarmouk , il était aussi un ami. Disparu en tout début d’année, nous lui consacrons une séance avec la projection de son dernier film Chjami è rispondi dans lequel il entreprend un long processus de réconciliation avec son père.

Manuel Briot, Pour l’équipe