Depuis 2013, la section compétitive des Écrans Documentaires est ouverte aux premières et secondes œuvres. Huit films composent cette sélection 2018. Ils concourent pour le Prix des Écrans Documentaires, le Prix lycéens et le Prix du Moulin d’Andé.
Si la contrainte et l’isolement parcourent amplement et une fois de plus notre sélection, deux films aux dispositifs singuliers, font émerger les récits de vécus, présents et passés, plus particulièrement liés à la détention. Là, la privation d’identité confine image de soi et paroles, sans accès à l’extérieur. Dans la Sarthe, des adolescents se fabriquent des visages imaginaires, et redonnent légalement voix à leurs corps pour se raconter. Confectionner et porter ces masques c’est aussi pouvoir se « mettre en jeu » entre fiction et réalité, entre parcours personnels, regards critiques sur la société et désirs d’avenir. À Lyon, le temps n’efface pas l’expérience d’une incarcération passée. Dans une ancienne Maison d’arrêt dont le projet douteux de réhabilitation a transformé l’espace (et conservé quelques fenêtres étroites), un homme se souvient et reconstitue les lieux d’un quotidien douloureux de manque et d’humiliation. Aux alentours de la prison, son ancienne compagne nous fait le récit poignant d’une attente endurée infiniment. Dans un village de la campagne cambodgienne, c’est la quête d’une mémoire familiale et collective, à la fois consciente et tue, qui est à l’œuvre. Accompagné de sa fille, un père exilé revient à la rencontre des voisins qui l’ont torturé sous le régime Khmer rouge. De ces confrontations naissent des dialogues patients dans lesquels se racontent, avec minutie, crimes et exactions. L’anonymat rompu des bourreaux et les mots posés sur l’horreur scellent un passé traumatique, pour l’avenir d’une famille et d’un peuple. Autre exil que celui des réfugiés palestiniens du camp de Chatila, à l’ouest de Beyrouth, où la scolarité des enfants est prise en charge par un petit groupe d’hommes marqués par les massacres de 1982 et la guerre civile. Dans la petite école en sureffectif mais au suivi pédagogique rodé, malgré les coupures d’électricité et la vétusté, l’alternative à la prise des armes contre Israël, réside dans le savoir et l’éducation : la génération à venir doit pouvoir améliorer les conditions de vie d’un provisoire-durable à Chatila. Pour la population du camp, l’espoir est aussi surtout nourri d’un retour prochain en Palestine. Le second film de la sélection tourné à Chatila s’appuie sur la fiction, et anticipe un temps dans lequel les départs deviennent possibles. Le présent apparent d’une famille affairée à des préparatifs incessants et l’attente du moment propice pour partir est aussi l’occasion de retours furtifs dans le réel et l’âpreté du quotidien, entre manifestations contre les conditions de vie dans le camp et actualités en hors-champ sonore. Dans les banlieues, en Espagne, en France, l’enracinement et l’attachement aux lieux de vie sont profonds. Histoires individuelles et collectives y ont construit une mémoire riche. À Madrid, le gouvernement local vend sans états d’âmes son parc d’habitats sociaux à des fonds privés et amplifie les procédures d’expulsion. Deux familles menacées rejoignent un collectif de lutte pour conserver leur logement. Témoignage essentiel et militant de cette mobilisation, jusqu’aux expulsions redoutées, le film rend aussi compte d’une solidarité quotidienne inébranlable entre locataires. Aux Mureaux, les images d’archives des premières générations d’ouvriers embauchés à l’usine Renault Flins, imprègnent de noir et blanc un film ouvert aux existences et à l’histoire de la cité. De nuit comme de jour, esprits nocturnes étincelants, récits d’amour, colères chantées, parcours heurtés, paroles de salariés dessinent en creux un autre portrait des lieux. En Normandie, à partir d’entretiens au long cours de trois femmes et du rapport qu’elles entretiennent avec leur métier, se tisse le récit d’une histoire familiale passée et traumatique. Matériaux écrits (poésie), visuels (vieux films amateurs) et musicaux (pièce contemporaine) viennent en éclairer les origines et le sens, et en défaire les nœuds. La sélection de cette année ne propose pas de courtmétrages en dessous de trente minutes, et de façon aussi remarquable, six des huit films présentés sont des productions françaises, les deux autres se trouvant être belge et espagnole. Cela n’a pas été envisagé comme un préalable et ne représente pas un changement dans nos critères de choix. Ils demeurent des premiers ou seconds films quelles que soient leur durée et leur provenance. Si difficile qu’il soit parfois de définir les contours de ce corpus, ce sont ces gestes cinématographiques que nous souhaitons donner à voir. Ce sont les débats au sein de l’équipe, avec pour principale considération celle de nos engouements les plus affirmés, qui nous ont guidés dans nos choix pour constituer cette sélection.
— Manuel Briot, pour l’équipe de sélection
Films
Angkar
Neary Adeline Hay | 2018 | 71' | France
Khonsaly retrouve ses anciens bourreaux Khmers Rouges, dans l’intimité obscure du village dans lequel ils ont cohabité quatre années durant. Entre passé et présent, les identités se dévoilent, les spectres oubliés ressurgissent et l’histoire, face à l’autre, se racontent enfin.
Le Cri est toujours le début d’un chant
Clémence Ancelin | 2018 | 52' | France
Tourné dans un Centre Éducatif Fermé, « Le cri est toujours le début d’un chant » accompagne neuf garçons dont la loi empêche de montrer le visage. Lorsque ces terribles et dangereux « délinquants » se fabriquent des masques afin de pouvoir prendre la parole dans un film, ils se révèlent doux, drôles, poètes ou philosophes et offrent une réflexion profonde et sensible sur la justice et l’incarcération des mineurs.
De Cendres et de braises
Manon Ott | 2018 | 72' | France
Portrait poétique et politique d’une banlieue ouvrière en mutation. De Cendres et de Braises nous invite à écouter les paroles des habitants des cités des Mureaux, près de l’usine Renault-Flins. Qu’elles soient douces, révoltées ou chantées, au pied des tours de la cité, à l’entrée de l’usine ou à côté d’un feu, celles-ci nous font traverser la nuit jusqu’à ce qu’un nouveau jour se lève sur d’autre lendemains possibles.
De Chatila nous partirons
Antoine Laurent | 2018 | 43' | France
Tarek, Sobhe et Jalal sont réfugiés palestiniens, nés à Chatila dans les années 80, ils y ont créé un centre de soutien scolaire et une maternelle. Durant les cours, lors des projets qu’ils mènent à l’intérieur des camps et aussi dans les gestes du quotidien, les trois amis donnent l’exemple. Ils sont persuadés qu’en attendant de revenir en Palestine, une vie citoyenne est possible, à l’intérieur des camps.
Enfermés mais vivants
Clémence Davigo | 2018 | 66' | France
Il reste les murs et les souvenirs, tout le reste à changé. Pendant longtemps, Annette et Louis se sont aimés malgré la prison qui les séparait. Tour à tour ils racontent ces longues années et tracent librement des sentiers dans ces lieux où, avant, on décidait pour eux.
La Grieta
Irene Yagüe Herrero et Alberto Garcia Ortiz | 2017 | 76' | Espagne
La Grieta nous plonge dans le combat de deux femmes pour conserver leurs logements sociaux dans une banlieue ouvrière de Madrid. En 2013 les fonds d’investissement surgissent attirés par les affaires immobilières mises en place par les gouvernements locaux. La Brèche révèle la réalité complexe de ces familles, un portrait qui ne se concentre pas seulement sur la lutte pour un toit, mais aussi sur l’identité et le sentiment d’appartenance à une communauté : la merchera (un groupe social traditionnellement nomade et de coutumes en bien d’aspect similaires à celles des gitans).
Nulle part avant
Emmanuel Falguières | 2018 | 200' | France
À trois femmes, j’ai demandé : « À quelle heure arrive le vent ? » Et dans leurs mains, chargées comme les rois mages, elles me tendent trois présents. Des films amateurs des années 1940. Un recueil de poèmes. Un morceau de musique. J’ai accepté chaque cadeau et je les ai posés sur ma table. Ils dégageaient une forte odeur de terre et de sel. Alors, je suis retourné voyager dans les racines, à la rencontre de leurs paroles.
Ours Is a Country of Words
Mathijs Poppe | 2017 | 42' | Belgique
Ce film raconte une histoire qui a commencé en 1948, quand des milliers de Palestiniens quittèrent leur pays, fuyant les massacres. Nous reprenons cette histoire des années plus tard, dans un futur imaginaire. Car ce pays de mots, même inaccessible, est le berceau d’une identité forgée dans l’exil, vivante envers et contre tout.
Séances
8 novembre 2018 à 19h30
Espace Jean Vilar
- Nulle part avant
Emmanuel Falguières | 2018 | 200’ | France
9 novembre 2018 à 19h30
Espace Jean Vilar
- La Grieta
Irene Yagüe Herrero et Alberto Garcia Ortiz | 2017 | 76’ | Espagne
9 novembre 2018 à 21h30
Espace Jean Vilar
- Angkar
Neary Adeline Hay | 2018 | 71’ | France
10 novembre 2018 à 13h00
Espace Jean Vilar
- Le Cri est toujours le début d’un chant
Clémence Ancelin | 2018 | 52’ | France
10 novembre 2018 à 14h30
Espace Jean Vilar
- De Chatila nous partirons
Antoine Laurent | 2018 | 43’ | France - Ours Is a Country of Words
Mathijs Poppe | 2017 | 42’ | Belgique
10 novembre 2018 à 16h30
Espace Jean Vilar
- Enfermés mais vivants
Clémence Davigo | 2018 | 66’ | France
10 novembre 2018 à 18h30
Espace Jean Vilar
- De Cendres et de braises
Manon Ott | 2018 | 72’ | France