Éditos

Un festival en phase avec l’actualité locale comme internationale

Le Festival, comme chaque année, bien que ne proposant pas de thématique globale, aborde nombre de questions liées à l’actualité, notamment au plan international. Les évolutions politiques à travers le globe, laissent parfois émerger des films qui redonnent souffle et ouverture à un monde bien malmené par les régimes autoritaires, comme au Soudan ou au Brésil. Si l’on découvre avec plaisir dans notre film d’ouverture qu’une énergie est présente pour tenter d’ouvrir une salle de cinéma à Karthoum, nous savons aussi combien nous devons nous mobiliser et lutter pour la défense des droits de la communauté LGBTQI+ au Brésil, comme en témoigne notre film de clôture, et alors que l’élection d’un Président d’extrême-droite, Jair Bolsonaro, est devenue une réalité. Ailleurs en Amérique latine, la souffrance liée aux retournements politiques, comme dans l’Argentine du Président Macri, est la toile de fond d’un portrait d’artiste hors-pair luttant contre sa maladie psychique. Autant de discriminations que les communautés Noires connaissent au sud comme au nord de l’Amérique sous l’ère Trump, en Floride par exemple.

À l’heure où l’Europe laisse mourir des milliers de migrants en mer Méditerranée ou les parque dans des zones de rétention indignes de nos démocraties, cette édition nous interroge aussi sur l’héritage politique laissé aux jeunes générations, alors que l’an dernier nous évoquions Mai 68.

L’accueil et les difficultés d’intégration des populations immigrées dans la banlieue parisienne des années 70 et 80, ou le passé traumatique de nombre de familles iraniennes dissoutes par la révolution islamique de 1978 sont, parmi beaucoup d’autres, abordés cette année dans la programmation comme des sujets encore terriblement présents aujourd’hui.

Ces thèmes essentiels nous les retrouverons dans le cadre des séances hors les murs : Guzmán et la dictature au Chili avec l’assertion France Amérique Latine, mais aussi les questions d’environnement que pose l’agriculture biologique industrielle à la Médiathèque d’Arcueil, ou encore la séance consacrée à André Kertész dont la Maison Doisneau accueille les œuvres avec l’exposition «André Kertész, marcher dans l’image », entre autres propositions.

Des séances hors les murs, dont on espère aussi l’accueil, dès l’année prochaine du Festival au LAVOIR, ce nouvel équipement que nous attendons depuis des années et qui sera inauguré fin février 2020. L’Association Son et Image, à l’origine du projet du Lavoir en 2006 pour avoir été lauréate de l’appel à projet lancé par la Ville de Gentilly sur l’avenir de ses Bains Douches, se veut être un des partenaires de ce futur établissement culturel, et a proposé dès cette année un projet intitulé, « En route vers le Lavoir ». Forte de son expérience en matière d’ateliers de réalisation, notre association peut envisager des propositions de pratiques cinématographiques en direction des jeunes publics, prémices au développement de ces ateliers au sein du « Lavoir ».

Nous nous réjouissons du choix fait par l’Établissement Public Territorial «Grand-Orly», de créer un pôle image liant le Lavoir à la Maison Robert Doisneau, trait d’union entre la photographie et l’image en mouvement. Nous serons attentifs aux moyens qui seront donnés à son dynamique et créatif directeur.

Ce nouveau projet développé par la Ville de Gentilly contribuera à élargir la politique culturelle de cette ville très riche depuis des décennies. Alors que le gouvernement entame une vaste entreprise technocratique de recentralisation et de privatisation de l’action publique, les prochaines échéances électorales locales doivent pouvoir être l’occasion de remettre en débat l’idée de refondation du service public de la culture, sur la base d’un postulat de départ largement partagé: l’art et la culture sont des biens communs. Le développement artistique et culturel est un objectif d’intérêt général profondément intégré à l’ambition de progrès social et écologique que la Nation s’assigne, et que l’ensemble de la sphère publique, État et collectivités, doit mettre en œuvre. Le cadre étant posé, comment, concrètement, donner vie à cette nouvelle ambition culturelle? Quelles nouvelles missions confier aux grands établissements de création? Comment redonner un second souffle à la décentralisation culturelle, aux musiques vivantes, aux arts visuels, à l’éducation artistique, à la démocratie culturelle ?

Le Lavoir étant tourné vers l’éducation à l’image, nous devons re-crédibiliser l’éducation populaire et l’action culturelle face à la dégradation et à l’instrumentalisation des structures de proximité qui étaient censées les porter. Comment affronter le populisme culturel tout en soutenant les cultures populaires et en réaffirmant l’importance d’une exigence artistique? Comment décoloniser notre pensée culturelle et féminiser son appareil de gestion et de création ?

Où en sont nos projets à l’heure où la révolution numérique, loin d’être facteur d’émancipation, est accaparée par les GAFAM ?

Agissant comme la dimension transversale des rapports sociaux, la culture comme le féminisme, l’antiracisme, l’écologie, nécessite la mobilisation de toutes et de tous pour résister et construire des alternatives.

L’émergence dans les territoires de forts mouvements artistiques et culturels, souvent soutenus pas les collectivités, répond au désengagement de la puissance d’État et du populisme rampant.

Avec Les Écrans Documentaires, notre association poursuivra cet engagement culturel au sein de ces collectivités de banlieue qui veulent élargir un public exigeant et attentif aux potentiels créatifs. Nous voulons rester un Acteur de ce changement de société par la culture.

Fabien Cohen
Président de Son et Image


Impatiences

20 octobre 2019

Oui, aujourd’hui, nous nous demandons où en seront les «contextes» géopolitiques et sociaux à l’heure où vous lirez ces lignes tant leur célérité s’accompagne d’inquiétude au fil des jours. Impossible de ne pas évoquer la situation du peuple Kurde (nous repensons au film Meteor de Gürcan Keltek que nous présentions lors de notre édition 2017), insupportable jeu de pions sur les cartes d’état-major américaines et turques. Impossible, non plus, de ne pas s’indigner quand l’Europe, croyant agir d’une seule et même voix, échoue à décréter un embargo sur les ventes d’armes à cette même Turquie. En cause, le veto posé par le Royaume-Uni, ultime faire-valoir d’un statut européen bientôt aboli par le Brexit.

En France, nous ne cessons de nous demander quelles formes de revendication et quels degrés de contestation il faudra atteindre dans les écoles, les lycées, les universités, dans les hôpitaux, les structures culturelles et tant d’autres lieux pour faire entendre leur détresse à un gouvernement qui en claironne la nécessaire rentabilité. Et combien de mobilisations supplémentaires seront-elles nécessaires pour soutenir les réfugiés politiques et économiques, imposer des mesures concrètes pour enrayer le réchauffement climatique, lutter contre le retour décomplexé de valeurs morales archaïques ?

De ces brefs états des lieux, de ces impatiences et des ailleurs qu’ils évoquent, émanent des présents endurés et éprouvés par les existences. Dans la contrainte ou la résistance, ils habitent encore cette année les films qui jalonnent notre programmation.

C’est le récit d’un fort désir de cinéma qui ouvre cette édition. Le beau chantier entrepris dans Talking about trees est la réappropriation, au-delà d’un lieu de projection à Karthoum, de la mémoire et de la pratique cinématographique d’un pays. Malgré l’échec et le poids des autorités, quatre protagonistes, vieux amis cinéastes, portent en eux cet espoir culturel inestimable.

C’est aussi d’espoir dont il est question dans le film Pahokee qui dresse le portrait de la jeunesse issue des communautés noires américaines et mexicaines d’une petite ville de Floride. Mais si l’accès aux divisions supérieures de football et aux universités semble parfois possible, la suprématie du mérite nord-américain trie et veille à la conservation de ses classes supérieures.

Au Brésil, l’engagement politique d’Indianara, leader de la communauté transgenre, est celui de toute une vie. Au détour de ce combat contre les stigmatisations de l’autoritarisme ambiant bientôt au pouvoir, et l’abandon d’une partie de la gauche, le film se construit au plus près des relations d’amitié et de solidarité qui soudent le groupe autour de leur représentante.

La prolifération des caméras de surveillance quelle qu’en soit l’utilité, mais le plus souvent destinée à la détection des mobilités humaines, nous interroge et nous alarme sur bien des points. Leurs champs visuels qui permettent, par exemple, d’observer une grande partie des côtes méditerranéennes sont le matériau initial que s’approprie La mer du milieu. En attribuant sons et couleurs à ces images commentées, le film ouvre alors une réflexion profonde sur les lieux et leurs enjeux.

Ce quadrillage numérique et visuel de la surface terrestre, à des fins de productivité agricole cette fois-ci, figure également parmi les thèmes de notre sélection 2019. Ailleurs pourtant, le matériel militaire semble plus vétuste pour déminer le passé. Guerres et oppressions de ce même passé qui, pour d’autres films continuent d’habiter les histoires intimes et familiales et provoquent enquêtes et quête de soi. La transmission et l’héritage, qu’ils soient politiques ou mythologiques, circulent aussi au travers des œuvres de cette sélection. Enfin, en d’autres lieux, d’autres territoires, c’est la question de l’accueil de l’autre qui est en cause.

Il sera à nouveau question d’hospitalité lors de notre journée en partenariat avec le MAC VAL (Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne). Ce premier volet de la programmation axé sur les années 1970 et 1980 est articulé autour des films de l’artiste Nil Yalter, du Collectif Mohamed et de Robert Bozzi. En partenariat, pour la première année, avec le festival Image de Ville le second volet, sera consacré, lui, à une œuvre plus récente, A Lua Platz et à un temps de rencontre avec son réalisateur Jérémy Gravayat.

Les films de Jean-Gabriel Périot ont pour matériau principal l’archive, de source et de nature variées. Son expérimentation permanente du montage, des images comme du son, construit au fil de son œuvre un regard en contrepoint sur l’Histoire du XXe siècle. Le cinéaste est l’invité d’une journée- rencontre intitulée « Contre-récits du présent », au cours de laquelle seront projetés huit de ses courts-métrages ainsi que son dernier long-métrage Nos défaites. Un temps d’échange prolongé suivra les projections pour aborder avec lui ce qui alimente son travail de cinéaste.

Pour la troisième année, notre collaboration avec La Clef à Saint-Germain-en-Laye se poursuit autour d’une programmation consacrée à des démarches contestataires qui donneront lieu à des temps de musique « live ». Alors que nous accueillerons dans nos murs deux portraits singuliers de musiciens, celui du percussionniste et batteur Milton Graves, et celui du pianiste argentin Martín Perino, que de lourds troubles psychiques tiennent en marge d’une vie sociale.

Depuis la première édition des Écrans Documentaires en 1996, les routes de notre festival et des films produits par le Groupe de Recherche et d’Essai Cinématographique (Grec) se sont croisées à de nombreuses reprises, notamment lors d’une carte blanche à laquelle nous invitions le groupe en 2001 peu de temps après ses 30 ans. Nous accueillons le Grec pour son cinquantième anniversaire et la présentation de six films issus de son riche catalogue. Six films aux horizons et périodes différentes mais répondant tous à une liberté de forme stimulante à la lisière du documentaire et de l’essai.

Nos programmations scolaires abordent, cette année, l’œuvre d’un autre grand essayiste du cinéma. Comme l’ensemble de ses films, les courts-métrages de Chris Marker que nous présentons témoignent d’un inlassable regard critique sur le monde. Leur inventivité formelle et leur résonance avec de nombreux thèmes contemporains surprennent encore et, et nous invitent à les (re)découvrir sans modération.

Et parce qu’il est souvent utile de s’affranchir d’agendas étroits et de découvrir d’autres lieux, nos séances hors les murs se déploient une nouvelle fois en 2019 dans le Val- de-Marne et au-delà, en association avec nos nombreux partenaires de programmation.

Bienvenue aux Écrans Documentaires.

Manuel Briot, pour l’équipe