Fait remarquable parmi d’autres dans l’œuvre d’Alice Diop, tous ses films, à l’exception des Sénégalaises et la Sénégauloise, sont tournés en banlieue parisienne et plus précisément en Seine-Saint-Denis.
Film après film, le cinéma d’Alice Diop, expérimentant diverses formes, explorant diverses écritures, dessine un territoire cinématographique qui se confond avec celui de cette banlieue. Avec constance, elle renouvelle ainsi le regard sur celles et ceux qui peuplent ce territoire.
Aux flux d’images médiatiques trop souvent caricaturales, charriant clichés et préjugés sur ces habitant.e.s, la cinéaste, opère un renversement de perspective pour nous proposer un autre récit en déconstruisant les représentations dominantes, comme un enjeu au cœur de sa démarche documentaire.
La citation de Fernando Pessoa en exergue de son film La permanence « On m’a parlé de peuples, et d’humanité. Mais je n’ai jamais vu de peuples ni d’humanité. J’ai vu toutes sortes de gens, étonnamment dissemblables. Chacun séparé de l’autre par un espace dépeuplé. » pourrait, avec la même force et la même justesse, figurer en préambule de ses autres films. La démarche sensible de l’autrice restitue en effet toute leur singularité à celles et ceux qu’elle filme par l’attention et la considération qu’elle manifeste à leurs égards. Son travail cinématographique questionne un certain ordre social et les rapports de domination qui lui sont consubstantiels, de même que la relation entre centre et périphérie et les processus d’assignation en œuvre, mettant notamment en lumière un impensé du récit national français que constitue l’histoire coloniale dans ses prolongements contemporains.
Avec Les Sénégalaises et la Sénégauloise nous nous rendrons d’abord à Dakar, dans la cour où vivent les femmes de sa famille maternelle. Dans ce film à la première personne, Alice Diop s’interroge sur ce que c’est qu’être femme au Sénégal. En se saisissant et en rendant compte de la complexité des situations vécues, le film désamorce en son sein le risque d’un déterminisme culturel.
Nous déambulerons ensuite avec un groupe de jeunes hommes en écoutant les témoignages de quatre d’entre eux. Comme autant de fragments d’un discours amoureux. Comme autant de trajets Vers la tendresse. Bouleversants d’acuité et de lucidité.
Dans l’exiguïté de La permanence nous nous tiendrons enfin serrés aux côtés de migrant.e.s nombreux.ses et du duo de médecins qui prodiguent soins et écoute. La permanence désigne cet îlot d’humanité autant qu’il renvoie plus métaphoriquement à la permanence des tragédies vécues par ces naufragé.e.s et l’inhospitalité meurtrière des rivages européens.
A l’issue de ces séances de projection nous retrouverons Alice Diop le temps d’une rencontre pour partager son expérience de cinéaste. Comprendre comment les films programmés et les projets en cours sont pensés et fabriqués. Appréhender comment se nouent enjeux esthétiques et questions de méthode.
La consultation se trouve à l’intérieur de l’hôpital Avicenne. C’est un îlot qui semble abandonné au fond d’un couloir. Une grande pièce obscure et vétuste où atterrissent des hommes malades, marqués dans leur chair, et pour qui la douleur dit les peines de l’exil. S’ils y reviennent encore, c’est qu’ils ne désespèrent pas de trouver ici le moyen de tenir debout, de résister au naufrage.
La « Sénégauloise » Alice Diop pose sa caméra dans la cour de la maison de sa mère, pour entamer un dialogue avec les « Sénégalaises », ses tantes et cousines qui vivent là.
Vers la tendresse est une exploration intime du territoire masculin d’une cité de banlieue. En suivant l’errance d’un groupe de jeunes hommes, nous arpentons un univers où les corps féminins ne sont plus que des silhouettes fantomatiques et virtuelles.